C'etait un rendez vous_1976 -
Merci à Pentaminor pour les détails ci-dessous.
Prenez maintenant la peine de lire l'entretien de Claude Lelouch
réalisé par Yves Alion et Jean Ollé-Laprune pour le livre "Claude
Lelouch, mode d'emploi". Il y raconte en exclusivité tous les détails
technique, & objectifs de Lelouch dans la réalisation de ce court
métrage.
(texte tiré du site Officiel de Claude Lelouch.)
Dans quelles circonstances avez-vous entrepris "C'était un rendez-vous" ?
Je
venais d'achever le tournage de "Si c'était à refaire". Quand un film
se termine, on effectue les "rendus". J'ai donc demandé à mon régisseur
quel métrage de pellicule il nous restait. Après inventaire, nous
avions pas mal de chutes, entre 3000 et 4000 mètres au total. Beaucoup
de petits rouleaux de 30 ou 50 mètres, mais aussi un magasin de 300
mètres, qu'il était prévu de rendre. Moi, j'avais envie de faire un
court métrage que nous aurions placé en première partie du film. Depuis
longtemps je voulais raconter l'histoire d'un type en retard à un
rendez vous qui commet plein d’infractions pour arriver à l’heure. Pour
moi , être à l'heure est une obsession. Je suis capable de prendre des
risques inouïs pour ne pas être en retard. J'ai suggéré à mon opérateur
Jacques Lefrançois, l'idée d'un plan-séquence, la caméra accompagnant
un type qui a rendez-vous à Montmartre avec une fille. Comme il est à
la bourre, il traverse Paris à toute allure, en grillant les stops et
les feux rouges.
Dans le film, le conducteur prend-il le chemin le plus direct ?
Si un Parisien veut aller de l'avenue Foch à Montmartre, il n'est pas obligé de passer par les guichets du Louvre...
Il
va prendre l'avenue de Wagram, bien sûr. Mais, Mous vous en doutez, je
voulais en même temps proposer une sorte de reportage. Mon problème
était d'élaborer un plan qui n'excède pas dix minutes et qui trouve son
intérêt à la toute fin avec la fille qui arrive sur les marches.
J'ai
réfléchi au projet. J'ai demandé à Elie Chouraqui, mon assistant à
l'époque, de voir quelles autorisations il nous faudrait obtenir. Nous
nous sommes vite rendu compte qu'un plan comme celui-ci nécessitait de
bloquer tout Paris. Ce n'était même pas la peine de demander nous
n'étions pas prêts à mettre en œuvre les moyens d'un long métrage pour
réaliser un court. J'ai interrogé un cascadeur : « Si je filme très
tôt, qu'est-ce que je risque en grillant les feux rouges ? » Il m'a
expliqué que c'était de deux choses l'une. En arrivant à un feu rouge,
s'il n'y a personne dans le champ de vision, le risque n'est pas bien
grand de passer en force : il faudrait qu'au même moment, un même
cinglé déboule à la même vitesse. Et s'il y a quelqu’un dans le champ
de vision, il est toujours possible de freiner. Je suis donc parti du
postulat que si je roule vite et que je ne vois rien, c'est qu'il n'y a
rien ... Le seul inconvénient majeure c'étaient les guichets du Louvre.
Ils me faisaient peur à cause de leur absence de visibilité. Pour le
tournage, j'ai demandé à Chouraqui de s'y installer avec un
talkie-walkie et de me prévenir au moment où j'arrivais. S'il ne me
disait rien, c'est que tout allait bien. C'est la seule véritable
précaution que j'ai prise. Pour la beauté du film, il fallait vraiment
que je ne m'arrête pas. Que je stoppe à un feu rouge, et le film
disparaissait. Il y avait d'ailleurs neuf chances sur dix pour que nous
n'arrivions pas au bout.
La caméra est fixée à la calandre de la Mercedes. Comment la voiture était-elle équipée ?
Nous
avons accroché la caméra sur le pare-chocs de la voiture, une 6,9
litres Mercedes. A l'intérieur nous étions trois, attachés comme des
mulets : moi-même au volant, mon chef machino, et mon chef opérateur
pour éventuellement changer le diaphragme. Au dernier moment, il a
fallu régler un diapo moyen. L'image devait être au ras du sol pour
être encore plus spectaculaire. Nous sommes en plein mois d'août. Bien
sûr, nous avions décidé de sacrifier le film et de tout arrêter au
premier danger. Nous roulions vraiment vite.
Quand vous dites "Nous roulions vite" vous parlez de quelle vitesse ?
La
montée de l'avenue Foch, entre 150 et 180 km/h. Les Champs-Élysées à
130 à 150 avec une pointe à 160 km/h au niveau de Franklin Roosevelt.
Puis jusqu'à la Concorde, comme c'était bien dégagé, j'ai dû monter à
200 km/h. J'ai pris la place de la Concorde à 150. Sur les quais, j'ai
franchi les 200 km/h. J'ai pris les guichets presque normalement,
c'est-à-dire à 80 ou 90 km/h. Comme Chouraqui ne m'appelait pas, je
suis passé sous les guichets à fond, 100 km/h, car le passage est tout
de même assez étroit. Je ne savais pas que le talkie de Chouraqui était
en panne ! Je ne l'ai su que le tournage terminé. Puis j'ai remonté
l'avenue de l'Opéra. Le carrefour était bloqué par un bus. Pour éviter
de ralentir, j'ai dû passer de l'autre côté de la chaussée, des
voitures venant en sens inverse. Place de I'Opéra, pas de problème !
J'ai ensuite pris la rue de la Chaussée-d’Antin vers Clichy. Je suis
tombé sur des camions-poubelles que je n'ai pu dépasser qu'en montant
sur le trottoir. Je croyais ne plus avoir de problèmes. Mais en
arrivant rue Lepic, j'ai été bloqué par un type qui livrait. J'ai pris
de l'autre côté, vers le paumant Palace, en destruction à l'époque.
J'ai remonté l'avenue Rocquencourt, ce qui me rallongeait énormément.
Je ne savais pas s'il allait me rester suffisamment de pellicule. J'ai
donc pris des rues en sens unique pour arriver à Montmartre dans les
temps ...
Vous aviez effectué des repérages ?
J'avais fait le
parcours une fois, lentement, pour bien déterminer les passages. Je
disposais de l'équivalent de 9-10 minutes de pellicule ! Il me restait
15 secondes pour couper le moteur descendre de voiture et prendre la
fille dans mes bras. Nous avions convenu que lorsque je klaxonnerais
elle monterait deux marches, pénétrant ainsi dans le champ. Le
plan-séquence ne pouvait être réussi que sur ces dernières secondes. Je
m'étais dit que si je ne réussissais pas la première prise, je ne
recommencerais pas. Par superstition. Si le miracle devait avoir lieu,
il aurait lieu ... Et il a eu lieu. En forçant quand même le destin,
puisque nous avons grillé dix-huit feux rouges.
Comment
expliquez-vous la notoriété de ce court métrage, qui est devenu un film
culte, ce qui est plus que rare peur un film court...
J'ai montré le
film un peu partout. Il n'a pas toujours été très bien accueilli compte
tenu de son manque de sens civique flagrant, ce que je ne saurais
contester. Mais il a aussi ses fana. Quand j'ai montré le film pour la
première fois à Los Angeles, où le non-respect des règles de conduite
est toujours fortement sanctionné, le triomphe s'est mêlé à
d'incroyables sifflets. "C'était un rendez-vous" a toujours suscité la
polémique, mais il montre aussi tout ce qu'on aime dans le cinéma.
Comme j'aime le cinéma plus que la loi ... Je savais que je tenais un
morceau de bravoure. Je me disais, en toute modestie, qu'il y avait là
la possibilité de faire l'un des plus beaux plans de l'histoire du
cinéma. Les plans-séquences de dix minutes sont rares, en raison de
l'étroitesse du magasin de la caméra. Même Hitchcock dans "La Corde" a
anticipé ses changements de pellicule.
Vous avez repris ce principe de courses sous différentes formes.
Dans
"Un homme et une femme : vingt ans déjà" , mais c'était sur un circuit,
tout comme dans "Partir Revenir". Pour "Le Chat et la Souris", réalisé
quelque temps plus tôt, nous avions expérimenté la chose. Mais le
tournage était bétonné avec des flics devant et derrière. Pour "C'était
un rendez-vous", nous avons fait un truc de voyou.
Qu'est-ce que vous risquiez ?
D'abord,
un accident ! Ensuite, les conséquences d'un tournage sans
autorisation. Enfin un retrait de permis de conduire. Le film est beau
par sa prise de risque. S'il a eu autant de succès et qu'il prête tant
à discussion, c'est qu'il est risqué.
Vous aimez les courts métrages ?
D'une
certaine façon, il est plus difficile de faire un court qu'un long.
Economiquement c'est un cauchemar. Artistiquement, il faut être dans
l'essentiel. Quand on regarde un court métrage, on sait tout de suite
si son signataire a de l'avenir dans le cinéma. Quand j'ai vu le court
métrage de Xavier Giannoli par exemple, j'ai su qu'il s'agissait d'un
vrai metteur en scène.